CHAPITRE 6

 

Au Fort de Ruatha et au Fort Méridional

27.5. 15-2.6.15

 

 

Dès le matin, des lézards de feu portèrent aux vassaux des messages leur enjoignant de marquer tous leurs lézards aux couleurs de Ruatha et leur interdisant l’entrée de tous les Weyrs.

Le lendemain, on attendait une Chute de Fils, qui tomba exactement au moment calculé par Lytol. Ce qui lui fit grand plaisir et rassura les plus nerveux.

Le troisième jour après le vol de l’œuf, Ruth, affamé, voulut chasser. Mais les lézards de feu l’accompagnèrent en si grand nombre qu’il ne tua qu’une bête et la mangea jusqu’à la dernière bouchée, avec les os et la peau.

Je ne veux pas tuer pour eux, dit Ruth avec tant de véhémence que Jaxom se demanda s’il n’allait pas cracher le feu sur ses petits amis.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Je croyais que tu les aimais !

Ils se rappellent à mon sujet quelque chose que je ne me rappelle pas. Non, je ne l’ai pas fait, dit Ruth, roulant des yeux où la colère mettait des étincelles rouges.

— Qu’est-ce qu’ils se rappellent ?

Je ne l’ai pas fait, répondit Ruth, d’un ton pourtant plein d’incertitude et d’appréhension. Je sais que je ne l’ai pas fait. Je n’aurais jamais pu faire une chose pareille. Je suis un dragon. Je suis Ruth. Je suis de Benden, termina-t-il, avec une nuance de désespoir.

— Qu’est-ce qu’ils se rappellent, Ruth ? Il faut que tu me le dises.

Ruth baissa la tête, comme pour se cacher, puis il la releva vers Jaxom, roulant ses yeux opalescents d’un air consterné.

Je n’aurais jamais pris l’œuf de Ramoth. Je sais que je n’ai pas pris l’œuf de Ramoth. J’étais au bord du lac avec vous quand c’est arrivé. Ça, je m’en souviens. Je ne sais pas pourquoi ils se rappellent que j’ai pris l’œuf de Ramoth.

Jaxom se raccrocha au cou de Ramoth pour ne pas tomber. Puis il prit plusieurs profondes inspirations.

— Montre-moi les images qu’ils t’ont transmises, Ruth !

Ruth s’exécuta, ses projections devenant de plus en plus claires à mesure qu’il se calmait sous les encouragements de son maître. Jaxom s’exhorta à réfléchir posément puis il dit à haute voix :

— Les lézards de feu ne peuvent raconter que ce qu’ils ont vu. Tu dis qu’ils se souviennent. Sais-tu à quel moment, d’après leurs souvenirs, ils t’ont vu prendre l’œuf de Ramoth ?

Je pourrais vous ramener à ce moment.

— Tu en es sûr ?

C’est le moment où les dragons ont craché des flammes sur les lézards de feu. Les bronzes qui gardent l’œuf mâchent la pierre de feu. Ils ne veulent pas que les lézards de feu en approchent.

— Sage précaution.

Les dragons n’aiment plus les lézards de feu. Et s’ils savaient ce que les lézards se rappellent à mon sujet, ils ne m’aimeraient plus non plus.

— Alors, réjouissons-nous que tu sois le seul dragon qui les écoute encore !

Ruth secoua la tête.

— Mais puisque l’œuf a déjà été rapporté à Benden, pourquoi te tourmentent-ils à son sujet ?

Parce qu’ils ne se rappellent pas que je sois déjà parti.

Jaxom préféra s’asseoir. Cette dernière remarque donnait à réfléchir. Non, se reprocha-t-il. F’lessan a raison. Nous réfléchissons trop. Il se demanda fugitivement si Lessa et F’nor avaient éprouvé ce même désir irrésistible avant leurs grandes décisions. Puis il conclut qu’il valait mieux ne pas penser à ça non plus.

— Tu es sûr de savoir à quel moment nous devons aller ? demanda-t-il à Ruth une fois de plus.

Deux reines surgirent, roucoulant tendrement : l’une fut même assez audacieuse pour se percher sur le bras de Jaxom, roulant les yeux de bonheur.

Elles savent. Je sais.

— Eh bien, je suis content qu’elles acceptent de nous guider. Et je le serais encore plus si elles avaient vu les étoiles !

Une fois la décision prise, tout devenait facile, à condition de ne pas réfléchir. Il prit, sa tunique de vol, une corde, une couverture de fourrure pour protéger l’œuf, avala quelques pâtés de viande, adressa un clin d’œil à Brand en sortant du Hall, se félicitant d’avoir courtisé Corana, ce qui lui donnait un alibi commode.

Il eut plus de mal à convaincre Ruth de se rouler dans la boue du delta de la Rivière Telgar. Mais sa robe blanche serait trop visible sur le noir du ciel nocturne tropical, ou, en plein jour, sur l’Aire d’Éclosion, où il ne voulait pas attirer l’attention.

D’après les images transmises à Ruth par les deux reines, il pensait que les Anciens avaient emporté l’œuf dans le passé, le déposant à l’endroit le plus propice : les sables chauds de l’ancien volcan qui deviendrait plus tard le Weyr Méridional. Pour le reste, il faudrait s’en remettre à Ruth, en espérant qu’il ne se trompait pas en se vantant de toujours savoir à quel moment il était.

Les lézards de feu les rejoignirent en foule au delta et l’aidèrent avec enthousiasme à souiller de boue la robe immaculée de Ruth. Jaxom s’en enduisit aussi les mains et le visage, de même que tous les éléments brillants de sa tenue. La couverture de fourrure était déjà assez sombre.

Quelque part au fond de lui, Jaxom n’était pas sûr que tout cela était réel, qu’il se lançait vraiment dans une si folle aventure. Mais cela devait être. Il avançait inexorablement vers un événement prédestiné, et rien ne pouvait plus l’arrêter. Il monta calmement sur son dragon, se fiant à ses capacités comme il ne l’avait encore jamais fait. Jaxom prit encore deux profondes inspirations.

— Tu connais le moment, Ruth ! Eh bien, allons-y !

Ce fut le saut le plus long et le plus froid qu’il eût jamais fait. Il avait un avantage sur Lessa : il s’y attendait. Mais l’Interstice était d’un noir qui l’effraya, d’un silence profond qui lui fit bourdonner les oreilles, d’un froid glacial qui le pénétra jusqu’aux moelles. Il ne pourrait pas rentrer directement avec l’œuf ; il faudrait faire plusieurs étapes pour le réchauffer.

Ils surgirent dans la nuit au-dessus d’un monde chaud et humide, aux senteurs de feuillages luxuriants et de fruits trop mûrs. Un instant, Jaxom eut l’horrible impression d’être entré par erreur dans le rêve délirant d’un lézard de feu. Mais le vol plané de Ruth et la douce brise nocturne rendirent la scène plus tangible. Puis, il vit l’œuf, tout en bas, tache luminescente à droite du dragon.

Il laissa Ruth continuer son vol jusqu’à un endroit d’où il vit le bord oriental du Weyr, où il lui faudrait s’introduire à l’aube à la plus grande vitesse possible. Puis il dit à Ruth de changer de temps, et ils surgirent de l’Interstice presque immédiatement. Le soleil levant leur réchauffa le dos. Ruth piqua comme une flèche, par-dessus les bronzes et leurs maîtres endormis, saisit l’œuf dans ses puissantes serres antérieures, reprit de la hauteur d’un coup d’aile, et, avant que les bronzes stupéfaits aient eu le temps de se remettre sur leurs pattes, le petit dragon blanc disparut dans l’Interstice.

Ils en sortirent une longueur d’aile au-dessus du Weyr, une Révolution après le moment qu’ils venaient de quitter.

Ruth n’eut que la force de poser doucement l’œuf sur le sable chaud. Jaxom démonta vivement, inspecta l’œuf tout chaud sans trouver de fissures. De ses mains gantées, il le recouvrit de sable, puis, comme Ruth, s’effondra, épuisé.

— Nous ne pouvons pas rester. Ils vont inspecter le temps, jour par jour. Ils savent que nous ne pouvons pas emporter l’œuf très loin dans l’avenir.

Ruth hocha la tête, encore haletant. Puis il s’immobilisa, en alerte, et Jaxom frémit d’inquiétude. Deux lézards de feu, un or et un bronze, les regardaient du bord du Weyr. Ils disparurent dans l’Interstice, mais Jaxom vit qu’ils n’étaient pas marqués.

— Nous les connaissons ?

Non.

— Où sont les deux reines ?

Elles m’ont montré le moment où vous vouliez aller. C’est tout ce que vous désiriez.

Jaxom se sentit abandonné. Il aurait dû leur demander de rester.

Il y a de la pierre de feu. Et des traces d’herbes calcinées. Ici, des bronzes ont craché les flammes sur les lézards de feu ! Il y a longtemps. L’herbe commence à repousser.

— Dragon contre dragon !

Jaxom ne se sentait plus en sécurité. Il ne serait tranquille que lorsqu’il aurait rapporté l’œuf à Benden.

— Il faut faire un autre saut, Ruth. C’est dangereux de s’attarder ici.

Détachant la corde enroulée autour de sa taille, il l’attacha aux deux extrémités de la couverture de fourrure, la transformant en sac de fortune. Ruth se fatiguerait moins si l’œuf était attaché entre ses pattes antérieures. Il avait presque fini quand il entendit broyer de la pierre de feu.

— Ruth ? Tu ne vas pas lancer le feu sur des dragons ?

Non. Bien sûr que non. Mais oseront-ils attaquer si je crache des flammes ?

Jaxom en fut si bouleversé qu’il ne protesta pas. Quand Ruth se fut rempli la panse de pierre de feu, Jaxom le rappela, installa le sac entre ses pattes antérieures, passant la corde autour de ses épaules pour qu’elles en supportent le poids. Il renonça à vérifier les nœuds et monta.

— Nous faisons un saut de cinq Révolutions dans l’avenir, pour atterrir à Keroon, à notre endroit habituel. Tu vois le moment ?

Ruth réfléchit quelques instants, puis répondit qu’il voyait.

Dans l’Interstice, Jaxom se demanda si ce long saut n’allait pas refroidir l’œuf. Peut-être aurait-il dû attendre, pour déterminer le moment de l’Éclosion et la longueur des sauts à faire. Peut-être avait-il déjà tué la petite reine. Non, l’Interstice lui troublait l’esprit ; l’essentiel, la restitution de l’œuf, était entrepris. Et il n’y avait pas eu de combat dragon contre dragon – pas encore.

La chaleur chatoyante du désert de Keroon lui réchauffa le corps et l’esprit. Sous sa carapace de boue, la robe de Ruth était d’un gris cendreux. Jaxom détacha la corde et posa l’œuf sur le sable où Ruth l’aida à l’enterrer. C’était le milieu de la matinée, peu avant l’heure où l’œuf devait être rendu, six Révolutions plus tard.

Ruth aurait voulu se laver dans la mer, mais Jaxom aimait mieux attendre. Au moment de la restitution, personne n’avait su qui avait rapporté l’œuf. Le plus sûr, c’était de ne pas se faire remarquer par une robe blanche immaculée.

Et les lézards de feu ?

Jaxom s’était posé la question, mais il croyait avoir la réponse.

— L’autre jour, ils ne savaient pas qui avait rapporté l’œuf. Il n’y en avait aucun sur l’Aire d’Éclosion : ils ne savent pas ce qu’ils n’ont pas vu.

Épuisé, il s’appuya contre le flanc tiède de Ruth. Ils allaient se reposer un moment, pour que l’œuf se réchauffe au soleil matinal, puis ils feraient le dernier saut, le plus délicat. Ils devaient manœuvrer pour atterrir juste à l’intérieur de l’Aire d’Éclosion, à l’endroit où l’arche s’abaissait, dérobant sa vue à quiconque regardait du Bassin. En fait, juste en face de la fente par laquelle F’lessan et Jaxom y étaient entrés si souvent. Ce serait un saut risqué, mais Ruth avait la chance d’être petit, il était né dans cette caverne, et il la sentait instinctivement. Ruth se vantait de toujours savoir à quel moment il était ; jusque-là, c’était vrai…

Même dans le désert torride de Keroon, il entendait des bruits : crissements des insectes, murmure de brise dans les herbes sèches, glissements des serpents sur le sable, clapotis lointain des vagues sur la plage. Soudain, aussi alarmant qu’un coup de tonnerre, un silence total se fit, la pression atmosphérique changea imperceptiblement, Ruth et Jaxom s’éveillèrent.

Jaxom leva les yeux, cherchant des dragons bronze venus réclamer leur prise. Le ciel était clair et chaud. C’est alors qu’il vit le danger : la brume argentée des Fils tombant en pluie sur le désert. Se ruant vers l’œuf, il le déterra avec Ruth, le poussa dans le sac, essayant de déterminer le Front de Chute, se demandant si le ciel n’allait pas s’emplir de dragons combattants.

Le précieux fardeau fut attaché entre les pattes de Ruth en un clin d’œil, mais c’était encore trop lent. Les premiers Fils commençaient à tomber dans le sable autour d’eux quand Jaxom sauta sur le cou de Ruth et donna le signal de l’envol. Ruth, crachant les flammes, essaya de se frayer un chemin dans les Fils, jusqu’à une altitude suffisante pour disparaître dans l’Interstice.

Un ruban de feu brûla la joue droite de Jaxom, son épaule droite à travers sa tunique de vol, son avant-bras et sa cuisse. Il sentit, plutôt qu’il n’entendit, Ruth pousser un grondement de douleur, qui se perdit dans les ténèbres interstitielles.

Jaxom parvint quand même à se concentrer sur le lieu et le temps où ils devaient aller. Ils se retrouvèrent enfin sur l’Aire d’Éclosion, Ramoth mugissant à l’extérieur. Le sable chaud raviva la blessure que les Fils avaient faite à la patte postérieure de Ruth, qui ne put retenir un cri, tandis que Jaxom s’escrimait à détacher le sac, en se mordant les lèvres pour étouffer sa souffrance. Les instants leur étaient comptés, et il lui sembla qu’il mettait une éternité à détacher la corde. Enfin Ruth posa l’œuf sur le sable, mais il roula loin d’eux sur la faible pente de l’Aire. Ils ne pouvaient s’attarder plus longtemps. Ruth s’élança vers la haute voûte de la caverne, et disparut dans l’Interstice.

Il n’y aurait pas de combat dragon contre dragon !

Ruth resurgit au-dessus de leur petit lac de montagne, détail auquel Jaxom n’attacha aucune importance. Le dragon blanc, blessé à la patte, gémissait ; il n’avait qu’une idée, plonger ses blessures dans le lac. Jaxom démonta près du bord, et, à grandes gerbes d’eau, commença à laver Ruth, pestant à l’idée qu’ils ne trouveraient pas de baume calmant avant d’arriver à Ruatha. Il se croyait malin, mais il n’avait même pas pensé que l’un d’eux pourrait revenir blessé.

La fraîcheur du lac calma un peu les brûlures, mais Jaxom craignait que la boue ne les infecte. Il aurait pu trouver un camouflage moins dangereux ! Pour la première fois depuis longtemps, il regretta l’absence totale de lézards de feu qui auraient pu l’aider à nettoyer la robe de son dragon. Une fois de plus, il se demanda fugitivement quel jour ils étaient.

On est le lendemain du soir où nous sommes partis, annonça Ruth. Je sais toujours à quel moment je suis, ajouta-t-il avec une fierté légitime. Ça me démange terriblement, le long de la dorsale gauche. Il reste un peu de boue.

Jaxom frotta le reste de la robe avec du sable, qui entra dans ses propres plaies et le fit terriblement souffrir. Il crut mourir de fatigue et de souffrance avant que Ruth se trouve assez propre pour un dernier plongeon.

— Eh bien, se dit Jaxom, entre autres choses, nous aurons au moins combattu les Fils.

Mais leurs blessures témoignaient de leur maladresse.

Nous n’étions pas exactement concentrés sur les Fils, lui rappela Ruth. Maintenant, je sais comment faire. Nous ferons beaucoup mieux la prochaine fois. Je suis plus rapide que les grands dragons. Je peux pivoter sur ma queue et disparaître dans lInterstice à une seule hauteur de dragon du sol.

Avec ferveur, Jaxom l’assura qu’il était le meilleur dragon de toute la planète.

Ruth roula des yeux que le plaisir colorait en vert et remonta sur la rive, déployant ses ailes pour les sécher.

Vous êtes blessé, gelé et affamé. Rentrons à la maison.

Jaxom savait que c’était le plus sage. Il fallait mettre du baume sur leurs plaies. Mais par la Première Coquille, comment allait-il expliquer cela à Lytol ?

Pourquoi donner des explications ? demanda Ruth. Nous avons fait ce que nous avions à faire.

— Toujours logique, hein ? répondit Jaxom en riant. Il caressa Ruth une dernière fois avant de se hisser péniblement sur son cou. Avec réticence, il lui dit de les ramener à la maison.

Le dragon de guet leur claironna un salut, et à peine une demi-douzaine de lézards de feu, tous marqués aux couleurs du Fort, les escortèrent jusqu’au weyr de Ruth.

Une servante surgit de la cuisine, les yeux dilatés d’excitation.

— Seigneur Jaxom, l’Éclosion a eu lieu. On est venu vous chercher, mais personne ne vous a trouvé.

— J’avais autre chose à faire. Va me chercher du baume !

— Du baume ? répéta la servante, dont les yeux se dilatèrent encore plus.

— Oui, du baume ! J’ai un coup de soleil.

Assez satisfait de son astuce, Jaxom, qui frissonnait dans des vêtements mouillés, installa Ruth confortablement. Il souffrit beaucoup en enlevant sa tunique, car les Fils avaient brûlé les muscles à travers la peau de gueyt, touché le poignet, et attaqué sa cuisse marquée d’un long sillon rouge.

Un timide grattement à la porte annonça le retour de la servante. Jaxom entrouvrit le battant, juste assez pour laisser passer le pot, tout en dissimulant ses brûlures à des yeux indiscrets.

— Merci. Et je veux aussi quelque chose de chaud à manger. De la soupe, du klah, n’importe quoi.

Jaxom referma la porte, se drapa un drap de bain autour de la taille, et retourna près de Ruth. Une poignée de baume étalé sur sa patte calma la douleur, et Jaxom sourit du soupir de soulagement de son dragon.

Son sourire redoubla dès qu’il eut enduit ses propres brûlures. Baume bienfaisant et trois fois béni. Plus jamais il ne rechignerait pour aller cueillir les touffes d’herbes épineuses dont on faisait ce baume extraordinaire. Il se regarda dans la glace. Sa brûlure lui laisserait une balafre longue d’un doigt.

— Jaxom !

Lytol entra, après avoir frappé un coup pour la forme.

— Vous avez manqué l’Éclosion à Benden et… Lytol s’arrêta si subitement qu’il chancela. Jaxom était toujours drapé dans son drap de bain, et ses épaules nues affichaient des brûlures de Fils bien visibles.

— L’œuf a éclos ? Parfait, répondit Jaxom, prenant sa tunique avec une désinvolture affectée. Je…

Puis il se tut. Ruth avait peut-être raison – ils avaient fait simplement ce qu’ils avaient à faire. C’était une affaire entre Ruth et lui, et une conséquence de son désir inconscient d’expier les nombreuses violations de l’Aire d’Éclosion perpétrées pendant son enfance. Il passa sa chemise par-dessus sa tête, grimaçant quand elle frôla la brûlure de sa joue.

— À Benden, reprit-il alors, ils avaient peur qu’il n’éclose pas à cause de toutes ces allées et venues dans l’Interstice.

Lytol s’approcha lentement, les yeux fixés sur le visage du jeune homme, attendant une explication.

Jaxom rectifia le drapé de sa tunique, boucla sa ceinture, puis remit du baume sur sa brûlure. Il ne savait quoi dire.

— Lytol, pourriez-vous examiner la patte de Ruth ? Voir si je l’ai soigné comme il faut ?

Jaxom remarqua que les yeux de Lytol étaient embués d’émotion. Il lui devait tant, mais jamais il ne lui devrait plus qu’en cet instant. Il s’étonna d’avoir jamais pu le trouver dur, froid, ou insensible.

— Il existe des moyens d’esquiver les Fils, dit calmement Lytol, et vous feriez bien de les enseigner à Ruth, Seigneur Jaxom.

— Voulez-vous avoir la bonté de me les apprendre, Seigneur Lytol…